🗣️ PAROLES VIVES A L’AMPI 2022 « La psychiatrie qui vient… »

  Action sociale, SantĂ© mentale et Petite enfance

Les 20 et 21 octobre derniers, Jacqueline Fontaine, prĂ©sidente de Serpsy, et moi-mĂŞme, secrĂ©taire de la mĂŞme association, Ă©tions invitĂ©es aux 35e journĂ©es annuelles de l’AMPI, Ă  Marseille. La journĂ©e est coorganisĂ©e par les CemĂ©a, dite des « Centres d’EntraĂ®nement Aux MĂ©thodes d’Education Actives » (CEMÉA) qui ont pour but depuis leur crĂ©ation en 1937, la diffusion des idĂ©es d’Education Nouvelle dans une dimension nationale et internationale. Reconnue d’utilitĂ© publique en 1966, elle se base sur l’expĂ©rience des personnes en formation. Le lien entre les CemĂ©a et la formation des infirmiers en psychiatrie date de 1947. Toute une histoire qu’il serait intĂ©ressant de revisiter un jour. 

Thème de ces deux journĂ©es, de formation donc, «  La psychiatrie qui vient  » ! Vu l’état de la psychiatrie aujourd’hui, ce qui se prĂ©pare ressemble plus Ă  un champ brĂ»lĂ©, dĂ©sertĂ© de ce qui fait le sens de nos actes comme après le passage d’un feu de forĂŞt, pourtant annoncĂ© depuis près de 30 ans. Champ oĂą les sciences neuronales n’auront plus qu’à semer leurs petites graines comportementalistes pour patients programmables et objetisĂ©s. Ce qu’elles ont, bien entendu, dĂ©jĂ  commencĂ© Ă  faire.

L’ouverture des possibles

Allant vent contraire Ă  ce pessimisme lucide, l’argumentaire des journĂ©es se veut rĂ©solument ouvert vers l’inconnu. CalĂ©e dans mon siège auto que j’ai enfin fini par garer dans un coin de trottoir, je relis le programme pliĂ© dans mon sac. L’argumentaire de la journĂ©e cite le dernier livre de Didier Fassin, (anthropologue, professeur au Collège de France et membre de MĂ©decin Sans Frontière - lu sur internet : ouvrage collectif qu’il a dirigĂ© « La sociĂ©tĂ© qui vient ») : « Si le moment critique que traverse notre sociĂ©tĂ© suscite l’inquiĂ©tude, il appelle aussi une ouverture des possibles ». Le texte de prĂ©sentation finit sur une autre citation : De tout temps la folie a interrogĂ© le thĂ©rapeute et le philosophe, alors, citons le philosophe Henri Bergson : « L’avenir n’est pas ce qui va arriver, mais ce que nous allons faire »

Nous voilà remis à l’endroit de notre pouvoir d’agir. Ce qui est autrement plus dynamique que le catastrophisme et la tentation de la plainte perpétuelle auxquels nous sommes enclins de bon droit, quand tout s’écroule autour de soi.

Oui, nous pouvons rĂ©sister. Mais comment ?

Mais au fait, L’AMPI, ça veut dire quoi exactement ? Puisque je suis en formation, et que je suis mandatĂ©e par Serpsy pour Ă©crire une sorte de compte-rendu de ces journĂ©es, j’en profite pour rafraĂ®chir mes connaissances. Le logos sur le programme dit : Association MĂ©diterranĂ©enne de PsychothĂ©rapie Institutionnelle. L’association existe depuis 1988, (vu sur internet). 34 ans. (Tiens l’âge de ma fille). Un bel âge. Je vais m’apercevoir en effet que la psychothĂ©rapie institutionnelle, malgrĂ© ses premiers cheveux blancs, reste bien dynamique et alerte.

Ils étaient près de 300 ans à La Blancarde

Les journĂ©es ont lieu Ă  l’Institut de Formation des Soins Infirmiers, La Blancarde. Le grand amphi au rez-de-chaussĂ©e en entrant Ă  droite. 300 places. Plein. 270 personnes exactement, me dit-on. Je remarque tout de suite la mixitĂ© des gens prĂ©sents. Pas uniquement d’âge, avec des anciens et des jeunes, mais aussi de profession, infirmiers psychiatres psychologues aides-soignants, art-thĂ©rapeutes, musicothĂ©rapeutes… des causants, des Ă©coutants, des collègues qui se retrouvent en groupe, d’autres seuls, venus lĂ  pour rĂ©flĂ©chir, prendre des notes, du recul, des rĂ©fĂ©rences d’ouvrages Ă  lire, se nourrir. Une belle ambiance. Nous voilĂ  rĂ©solument tournĂ©s vers l’avenir.

Quand j’arrive à 9 h le premier matin, j’ai la bonne surprise de constater que je ne suis pas la seule en retard. Ce n’est pas facile de bouger dans Marseille, alors venir de l’extérieur, s’orienter, se garer, sans connaître la ville, ce n’est pas que c’est difficile, c’est une épreuve. Le retard est une institution. Alors, chacun laisse le temps s’étirer. On papote en sirotant un café, un jus d’orange, en savourant un croissant, avec les collègues, dans les couloirs, la cour intérieure, devant la porte. La parole circule. Elle circulera tout au long de ces deux jours. Pas forcément en public, pas forcément dans une prise de parole au micro, ou lors des ateliers. Elle se pose sur les bords, sur d’autres chemins de circulation, dans les à-côtés du voisinage, les échanges au hasard des rencontres. Le temps se dilate, les horloges se calment. Il se passe autre chose. Je suis là pour ça aussi, me décaler de ce que je crois connaître. Découvrir. Risquer l’événement.

Dans l’amphithéâtre, Marie-Claude Taliana, toute nouvellement Ă©lue prĂ©sidente de l’AMPI est Ă  la tribune. Elle ouvre les journĂ©es par un discours engagĂ©. En voilĂ  un bel extrait, qu’elle nous a communiquĂ© :

La psychiatrie qui vient …

Dans un contexte sociétal néo-libéral, le système de soins est envisagé essentiellement sur un rapport économique, avec la gestion comptable des soins dans une perspective du moindre coût.
Les secteurs de la psychiatrie, de la pĂ©dopsychiatrie et du mĂ©dico-social sont confrontĂ©s Ă  une dĂ©sertification mĂ©dicale sans prĂ©cĂ©dent, une dĂ©saffection des personnels de santĂ© Ă©puisĂ©s, le personnel soignant en souffrance, en perte de sens, des dispositifs d’accueils saturĂ©s, des fermetures de lits … 
Dans ce contexte social pathogène, aggravé par la pandémie de Covid, la croissance des troubles psychiques est exponentielle et inquiétante. Le mot d’ordre est la réification des pratiques dans une perspective de standardisation des soins, avec des directives imposées par les instances gouvernementales et relayé par l’agence régionale de santé qui prône les neurosciences et les T.C.C au détriment de la psychiatrie transférentielle, de l’expérience de la rencontre.
Alors, soyons « Balayeurs et pontonniers » comme le disait Jean Oury.
Soyons « le moins dangereux possible » dans nos pratiques, faisons acte de rĂ©sistance en crĂ©ant des passerelles, en corrĂ©lant les diffĂ©rentes approches afin d’offrir une offre de soins favorable Ă  la singularitĂ©, pour « qu’apparaisse quelque chose de l’ordre de l’avec, des greffes d’ouvert ».
Nous vous proposons des espaces du dire – des espaces de rencontres et de débats – des temps de partages de nos pratiques.
Comme le disait François Tosquelles : « â€¦ Les paroles qui s’envolent comme des feuilles mortes, se dĂ©posent cependant sur le sol et constituent la terre et l’humus sur lesquels on peut marcher et d’oĂą pourront naĂ®tre de nouvelles questions ».
Alors, soyez cet humus, crĂ©ons du possible, soyons les ouvriers, les architectes, les bâtisseurs de la psychiatrie qui vient ! »

Le ton est donné. Oury et Tosquelles, les figures de proue de la psychothérapie institutionnelles, sont convoqués. Nous sommes en bonne compagnie. L’espace est pensé où nous allons pouvoir, dire, rencontrer et débattre. Nos paroles seront entendues et feront l’humus des questions à venir. Je suis tout ouïe. Alors, allons-y.

Jeudi matin : de la garde des enfants aux choux-fleurs de Saint-Alban

Les journĂ©es sont rythmĂ©es entre interventions en plĂ©nière et ateliers de discussions dans des salles plus restreintes. Trois ateliers au choix sont proposĂ©s l’après-midi : Langage et communication, L’hypothèse de l’inconscient et Le collectif.  

Le jeudi matin, dans le grand amphithéâtre, Loriane Bellahsen, pĂ©dopsychiatre et psychanalyste, a Ă©voquĂ© l’ambigĂĽitĂ© et les travers qui s’y associent, quand l’équipe se prend Ă  s’illusionner fonctionner comme une Famille. Elle a rappelĂ© la notion d’amitiĂ© professionnelle dans ce qu’elle peut de dynamisme et d’écoute de la diffĂ©rence. Il a Ă©tĂ© question aussi des ouvertures engendrĂ©es par la porositĂ© des espaces entre le privĂ© et le professionnel quand cette fluiditĂ© se fait dans le respect de la parole et des fonctions de chacun. Elle Ă©voque sa propre histoire personnelle, et les liens particuliers qui se sont tissĂ©s avec des patients après qu’elle en eut parlĂ© lors d’un Ă©change. La qualitĂ© de cette intervention Ă©tait remarquable par la douceur du ton. La fluiditĂ© de la pensĂ©e allant d’un bord Ă  l’autre de la discussion relatĂ©e au sein des Ă©quipes, exposant les arguments des uns et des autres, et le sien en propre, ainsi que la fermetĂ© des positions qui en dĂ©coulent, n’a pas laissĂ© de place Ă  l’ambiguĂŻtĂ© de ce qui se joue au fond de cette « mĂ©taphore ». 

Le final de l’intervention de Lorianne Bellahsen touche un point particulièrement sensible, d’autant plus qu’il est très rarement abordĂ© en public. Comment les soignants, tout statut confondu, peuvent-ils travailler sereinement si on ne prend pas en compte l’organisation de leur vie familiale, et prĂ©cisĂ©ment la garde des enfants, les laissant inquiets de ne pas ĂŞtre assez prĂ©sents auprès d’eux et de les accompagner convenablement dans leur vie. La psychiatrie demande un investissement rĂ©el, autant en termes de quantitĂ© de travail sur le terrain, en rĂ©unions de toutes sortes, bien souvent en dehors des heures dans les unitĂ©s de soin, mais Ă©galement en termes de mobilisation psychique de chacun, et de formation continue. L’auditoire, Ă  grande majoritĂ© fĂ©minine, a applaudi vivement. 

L’intervention qui suit est savoureuse. Pour qui aime l’humour des choux fleurs ! Une Ă©quipe de l’hĂ´pital de St Alban nous retrace « l’itinĂ©raire institutionnel d’un chou-fleur » Ă  partir d’une sĂ©quence d’un repas thĂ©rapeutique au sein de l’hĂ´pital de jour nommĂ© Yves Racine, nom du psychiatre qui a instaurĂ© ce temps thĂ©rapeutique particulier, le repas partagĂ© entre soignants et soignĂ©s. Justement il a Ă©tĂ© question des mouvements complexes que ces repas autorisent parmi les convives rĂ©unis face aux menus un brin rĂ©pĂ©titif, particulièrement le chou-fleur, mis Ă  toutes les sauces. MalgrĂ© la richesse relationnelle Ă©vidente entre patients et soignants, analysĂ©e et mise en Ă©vidence, ce temps collectif est remis en question par la hiĂ©rarchie. L’exposĂ©, choral, est tonique, insolent, inventif dans le langage. Par exemple quelques phrase prises Ă  la volĂ©e : « La violence institutionnelle nous glace…On doit travailler Ă  remettre du lien… S’attacher au langage para verbal, Ă©couter le bruissement des choses, plutĂ´t que le son… Il n’y a pas d’espaces pauvres, seulement des espaces pauvrement regardĂ©s… Michel Lecarpentier vole le chou-fleur et l’emporte Ă  La Borde, il nous dĂ©barrasse du poids institutionnel en le transvasant ailleurs !... Transformer les Ă©lĂ©ments alpha en Ă©lĂ©ments bĂ©ta, selon Bion. Associer les sens, les saveurs et la pulsion orale, manger, boire, parler…  ». VoilĂ  un petit aperçu de l’énergie combattive et joyeuse de cette Ă©quipe qui ne lâche rien face Ă  l’arbitraire institutionnel.

L’échange avec la salle est riche. Alors en vrac non exhaustif, il est question des Ă©quipes qui s’entendent bien et deviennent copains/copines/ collĂ©s/ oubliant la clinique et les patients. Il est question de la clinique du quotidien. De la diffĂ©rence entre l’amitiĂ© entre collègue et le copinage. La crèche Ă  Laborde, qui garde les enfants ? Les patients. L’on parle de Landernau, la capitale du chou-fleur, et de Yves Racine qui a quittĂ© St Alban en 72, pour Maison Blanche Ă  Paris ; de l’institution qui ne peut ĂŞtre travaillĂ©e qu’en lien avec les racines qui inscrivent dans l’histoire. Et que pour ĂŞtre dans le soin, il faut d’abord/en mĂŞme temps/ l’être dans sa vie privĂ©e. Un psychiatre se confie «  Quand je viens ici, je ne me sens pas complètement Ă  cĂ´tĂ© de la plaque. » Et puis, la question du territoire, comme espace de rencontre. AmĂ©nager quelque chose qui facilite la circulation. C’est ça qui maintient la continuitĂ© existentielle qui permet d’inventer. Ces espaces complexes dans lesquels on circule soi-mĂŞme/circulation complexe. La psychanalyse amène une parole publique, mĂŞme si c’est dans le face Ă  face du cabinet de la cure….
Tolten, poète psychologue, jongleur de mots et rimailleur de sens, « chasseur de sens, cueilleur de mots », nous rĂ©gale d’une synthèse humoristique des deux tables rondes.

« Un havre de paix »

Puis, a suivi un film. « Un havre de paix » rĂ©alisĂ© par une artiste cinĂ©aste en rĂ©sidence dans un hĂ´pital de jour de Bagnolet. L’équipe soignante est au complet sur le plateau de l’amphithéâtre, accompagnĂ©e par trois patients et l’artiste elle-mĂŞme. Il a Ă©tĂ© question de leur dĂ©termination pour inflĂ©chir les rĂ©sistances institutionnelles afin de mener Ă  terme ce projet. La crĂ©ation d’une association extĂ©rieure Ă  l’établissement a permis de crĂ©er une nouvelle articulation avec les tutelles financeuses, pour « que la vie rentre Ă  l’intĂ©rieur du lieu de soins », dira avec pertinence, un jeune en soins dans l’unitĂ©. Comment cette action, et ce lieu oĂą « on peut venir comme on est » dira le mĂŞme jeune, a permis Ă  chacun de cheminer Ă  son rythme et de se dĂ©couvrir autrement. Parfois, de se rĂ©vĂ©ler Ă  lui-mĂŞme tout simplement, par la confiance et le temps pris dans l’accueil de la diffĂ©rence de chacun. Une jeune fille a pu tĂ©moigner comment ce film et ce lieu avec l’ambiance crĂ©Ă©e par les soignants, lui ont permis doucement de « sortir de sa chrysalide ». LĂ , elle se sentait utile. Une jeune psychomotricienne, dont c’est le premier poste, est Ă©mue aux larmes d’être lĂ  sur le plateau de l’amphithéâtre, Ă  nous parler : « Ă§a donne de l’espoir ce qui se passe lĂ , aujourd’hui, alors qu’on nous dit que peut-ĂŞtre on va mourir dans 10 ans, avec ce qui se passe sur la planète. LĂ , c’est la vie. » Un psychiatre intervient de la salle, qui va donner du sens Ă  l’émotion de la jeune fille : « Participer Ă  une Ĺ“uvre collective permet de dire quelque chose de soi. La crĂ©ation de cette association a permis de crĂ©er ce film au-delĂ  du hiĂ©rarchique, un mouvement est nĂ© qui permet la prise de parole, l’objet du dĂ©sir de chacun peut trouver une place dans ce travail collectif. C’est ça l’idĂ©e d’un faire collectif qui ouvre vers l’extĂ©rieur. »

« En mĂŞme temps que le collectif se crĂ©e, le mouvement se crĂ©e », dira le lendemain, en Ă©cho, Patrick Chemla dans son intervention « Reconstruire un horizon d’attente ».

Les pauses cafĂ©, repas, occasionnent de multiples rencontres, et Ă©changes sur ce qui s’est passĂ©, et permet de se donner des nouvelles. Je retrouve quelques copains. Raimond Negrel me raconte les dĂ©boires de leur action de maraude auprès des sans domicile fixe, au sein de MĂ©decins du monde, et les solutions qu’ils ont trouvĂ©es pour continuer cette action nĂ©cessaire et tellement utile Ă  Marseille. Le livre co-Ă©crit avec Marie-France Negrel relatant les rencontres et la pensĂ©e qui sous-tient solidement leur dĂ©marche n’a pas suffi. (On peut en lire la prĂ©sentation en cliquant sur ce lien NĂ©grel Marie-France et Raymond, RĂ©sistance et travail de rue (serpsy1.com) Ils n’ont pas renoncĂ© et ont trouvĂ© un autre groupe pour les accueillir. Un clin d’œil de connivence et un salut chaleureux Ă  Anne-SĂ©verine en pleine discussion. C’est une collègue de Serpsy.

AneĂŻla Lefort, psychiatre de Gap vient d’arriver. Elle tient Ă  ĂŞtre lĂ . Elle est très Ă©mue. Cet après-midi il y aura un hommage par Guy Baillon Ă  Dimitri Karavokyros, mort cet Ă©tĂ©, un psychiatre qui a fortement comptĂ© pour elle, et dont la disparition lui est encore douloureuse. (On peut lire l’hommage de Serpsy Ă  Dimitri en cliquant sur ce lien Salut Dimitri et fraternitĂ© (serpsy1.com) ). 

Un groupe discute avec Chemla, Le Carpentier, et quelques autres. Nous nous saluons. Le journal de Lapsus NumĂ©rique est en vente dans l’espace librairie. Je me promets d’en acheter un numĂ©ro. Mais je vois qu’ils vendent la thèse de Tosquelles sur La fin du monde dans la psychose. Un petit coup de fil Ă  mon mari, pour vĂ©rifier que nous ne l’avons pas dĂ©jĂ  dans notre bibliothèque, et l’ouvrage convoitĂ© est dans mon sac. Promesse d’un tĂŞte Ă  tĂŞte avec François Tosquelles, premier psychiatre, après Nasio, sur l’hystĂ©rie livre conseillĂ© par la mère, psychiatre psychanalyse, d’une amie, livres que j’ai lus quand je suis entrĂ©e en psychiatrie alors que j’étais encore dans l’entre-deux du pallier oĂą je me posais, entre art et soin. C’est lui qui m’a initiĂ©e Ă  ces approches subtiles de circulation et de territoire, de social-thĂ©rapie disait-il, qui m’ont mise en alerte face Ă  une psychiatrie qui oubliait son nom de soignant, quand j’ai choisi de quitter l’ASM 13 Ă  Paris, mon premier lieu de dĂ©couverte du soin psychique, pour d’autres lieux de soins. Je n’ai pas trouvĂ© d’autres lieux d’accueil en province. Je n’ai trouvĂ© qu’une psychiatrie, qui rend fou et malheureux, surtout les soignants et que j’ai pris grand soin de fuir.

L’hypothèse de l’inconscient

Les ateliers thĂ©matiques en petits groupes, ont lieu l’après-midi. J’ai choisi « L’hypothèse de l’inconscient », sans rĂ©flĂ©chir, parce que ça m’intĂ©resse. Jacqueline, « Le Collectif ». Ă‡a l’intĂ©resse.

Une trentaine de personnes sont assemblĂ©s dans une salle de rĂ©union plutĂ´t petite. Il manque des chaises, certains vont rester debout. Les animateurs de l’atelier sur « L’hypothèse de l’inconscient » sont Michèle Benahim, Patrick Chemla et Michel Le Carpentier. Michèle Benahim nous invite Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  partir de la phrase de Lacan « L’inconscient c’est le politique ». Elle amorce la discussion par quelques notes personnelles jetĂ©s sur un carnet qu’elle nous lit. 

Tant de choses ont Ă©tĂ© dites pendant ces trois heures d’atelier qu’il serait illusoire d’en faire un rĂ©sumĂ©. Je vais juste tenter de vous exposer ce qui m’en reste et ce que j’en ai retenu. La question, amenĂ©e par plusieurs prises de paroles, est celle de comment faire avec cette violence institutionnelle imposĂ©e d’en haut, sur les Ă©quipes soignantes, les mettant en difficultĂ© quant Ă  leur manière de faire avec la folie. Ruser ? Ou Affronter ? En rĂ©ponse, sans rĂ©pondre car chaque situation Ă©voquĂ©e est Ă  considĂ©rer dans sa spĂ©cificitĂ© d’histoire et de contexte, donc en rĂ©ponse, il apparaĂ®t que la solitude des soignants est particulièrement mortifère. Aller en quĂŞte d’autres, avec lesquels il y aurait une convergence de point de vue. Echanger, dire, rencontrer. Surtout ne pas rester isolĂ©-e dans son unitĂ©, en proie aux tenailles de la culpabilitĂ©, de la dĂ©pression ou de la paranoĂŻa que l’institution, par son poids hiĂ©rarchique et sa masse inerte, sait si bien instiller au sein des Ă©quipes de soins. Je pense Ă  nous, Serpsy, et son collectif de soignants. Nous nous rĂ©unissons une fois par mois, c’est un lieu possible oĂą l’on peut Ă©changer entre collègues ce qui se vit sur le terrain.

Un étrange phénomène, une surprenante surdité

C’est pourtant dans cet atelier qu’un dĂ©rapage a eu lieu. Qui m’a vivement intĂ©ressĂ© par ce qu’il signifiait au sein de cette assemblĂ©e rĂ©unie pour questionner « Cette hypothèse de l’inconscient », et m’a fait rĂ©agir avec force car quelque chose se disait, justement, de cet inconscient, mais le nĂ´tre, pas celui d’un ailleurs dont on aurait quelque chose Ă  en dire. Le nĂ´tre, celui qui nous prend par surprise, Ă  notre insu, dit-on. 

J’avais dĂ©jĂ  remarquĂ© dans la journĂ©e un Ă©trange phĂ©nomène. Une sorte de refoulĂ© de l’histoire de la psychiatrie rĂ©cente. Un non-dit, un oubli, une sorte de point aveugle et qui nous revient en boomerang. Les Ă©minentes personnalitĂ©s prĂ©sentes dans l’assemblĂ©e, qui prenaient si facilement la parole, soit pour donner du sens Ă  ce qui se passait « en live », soit qu’elles prĂ©cisaient de ci de lĂ  des points d’histoire, glissaient, comme sur une savonnette, sur l’annĂ©e 1992, date de l’abolition du diplĂ´me d’infirmier du secteur psychiatrique. Ce n’était pas la première attaque contre la psychiatrie rĂ© inventĂ©e de l’après-guerre. Le combat fut rude sur tous les fronts. Mais celui-lĂ , brutal, il y a trente ans, a portĂ© un coup fatal Ă  ce champ tout neuf, tout dĂ©butant, du soin infirmier dĂ©diĂ© au psychisme et Ă  ses maladies. Attaque contre les infirmières du Secteur Psychiatrique, les ISP, donc, bien formĂ©es, prĂ©cieuses collaboratrices travaillant en Ă©quipe avec les mĂ©decins et qui savaient de quoi elles parlaient. DĂ©jĂ  Ă  l’époque, on note une absence de positionnement des collègues mĂ©decins face Ă  cette attaque. Alors que la profession rĂ©agissait Ă©nergiquement contre cette annulation pure et simple de son diplĂ´me. Silence radio des mĂ©decins. Pourtant, je me souviens de Jean Oury, lors d’un de ses sĂ©minaires mensuels Ă  St Anne, oĂą je me rendais avec une amie collègue de l’ASM 13 oĂą je travaillais Ă  l’époque, quand il avait dit : « Cette disparition du diplĂ´me d’infirmier du secteur psychiatrique est une vĂ©ritable catastrophe pour la psychiatrie. » De l’importance du dire sans faux semblant. 

Et lĂ , Ă  cette 35e Ă©dition de l’AMPI, il ne s’en dit rien. 30 ans après. Je regarde ma camarade de Serpsy, Jacqueline. Que les mĂ©decins n’en parlent pas, soit. Mais nous, infirmières, rien ne nous interdit d’en dire un mot. Je suis DiplĂ´mĂ©e d’Etat, je ne me sens pas totalement lĂ©gitime. Jacqueline, ISP, syndicaliste, prend la parole et malgrĂ© son rhume ce jour-lĂ , parle fort et clair. Elle remet la date fatale de l’annĂ©e 1993 dans la chronologie comme un des points de dĂ©part flagrant du marasme annoncĂ© d’une psychiatrie sommĂ©e de faire des Ă©conomies ouvrant la voie royale aux neuro sciences. Lors d’une de nos recherches au sein de Serpsy, nous avions dĂ©couvert un article Ă©crit par un mĂ©decin mandatĂ© par le ministère de la santĂ©, pour analyser les dĂ©penses de la psychiatrie, et trouver des solutions pour rĂ©duire le coĂ»t de la maladie chronique qu’est, de fait, la psychose, puisque c’est, nous le savons, une atteinte de structure dans la personnalitĂ©. CoĂ»ts, trop lourds, et forcĂ©ment portĂ©s par la sociĂ©tĂ© via la SĂ©curitĂ© Sociale. Jusqu’alors, personne ne se posait la question de comment faire des Ă©conomies dans un domaine aussi public que celui de la santĂ©. Sans aucune inhibition, ce texte exposait une vision capitaliste du soin faisant irruption dans la notion de mission de service public, c’est-Ă -dire la dĂ©tournant et l’inscrivant dans la loi d’une Ă©conomie de marchĂ©. C’est suite Ă  cette analyse Ă©conomique que l’expression « prise en charge du patient » est entrĂ©e dans le vocabulaire usuel. Combien coĂ»te le soin psychique Ă  la sociĂ©tĂ© ?

Après l’intervention de Jacqueline dans l’amphithéâtre de plus de 200 personnes, rien. Pas de commentaires. Mais Ă  la tribune, une jolie digression sur …sur quoi dĂ©jĂ  ? Je ne m’en souviens plus…. Mais cela n’avait rien Ă  voir… Une pirouette, habile, Ă©lĂ©gante. L’épisode du diplĂ´me d’ISP est passĂ© sous silence. Comme s’il ne s’était rien passĂ©. D’ailleurs, Ă  quoi bon en parler, c’est de l’histoire ancienne. Y aurait-il deux vitesses dans l’histoire ? La « grande » et la « petite » histoire ? Celle patrons et celle des gens de peu ? Je ronge mon frein.

Les obéissants soldats de la psychiatrie

Alors, quand le lendemain matin, lors de la deuxième session de l’atelier « L’hypothèse de l’inconscient, ou L’inconscient c’est le politique », quand une collègue psychologue Ă©voque les infirmiers comme des soldats obĂ©issants sous les ordres d’une hiĂ©rarchie Ă  laquelle ils sont soumis, alors que nous Ă©voquons les contentions et les mises en isolement de patients, je rĂ©agis fortement. Non, je ne suis pas d’accord qu’on dise ça ! Je n’ai pu reprendre ce qui venait de se dire que plus tard, lors des restitutions des ateliers dans le grand amphithéâtre. Entre temps, j’avais Ă©changĂ© avec une collègue psychiatre qui, elle aussi, avait trouvĂ© cette sortie significative. Il n’était pas question de mettre en accusation qui que ce soit, bien entendu. Mais de repĂ©rer dans cet Ă©pisode ce qu’il y a en nous de contradictoire, voire de paradoxal dans ce qui s’exprime quand nous parlons. Surtout si on s’en dĂ©fend mettant en avant la dimension mĂ©taphorique de l’image utilisĂ©e. Je m’étonnais que dans des journĂ©es comme celles de l’AMPI, on put entendre ce genre de jugement de valeur sans que ce soit discutĂ©. Et je m’interrogeais Ă  haute voix : « Y aurait-il une lutte de classe entre infirmiers et psychiatres, qui ne dit pas son nom ? Si ça, ce n’est pas de l’inconscient politique, et si nous n’en faisons ou n’en disons rien, alors de quoi parle-t-on ? Que faisons-nous lĂ  ? » J’ai Ă©voquĂ© les discussions qui naissent hors assemblĂ©e, quand on marche dans les couloirs, quand on croise un regard, entre deux ou trois personnes, parce que prendre la parole au micro, et structurer sa pensĂ©e pour l’exposer au public, ce n’est pas facile. Deux ou trois personnes ont rĂ©pondu Ă  mon intervention, abordant plus la forme que le fond et la discussion en est restĂ©e lĂ . Je me dis qu’il faudra encore, et encore y revenir.

L’après-midi, l’intervention de Guy Baillon en hommage Ă  Dimitri Karavokyros, fut très touchante. Il a Ă©voquĂ© le lien ancien qu’ils avaient maintenus d’une amitiĂ© fraternelle et professionnelle, rempli d’admiration de la part de Guy Baillon envers « ce grand frère », mĂŞme s’il Ă©tait en rĂ©alitĂ© un peu plus jeune de quelques annĂ©es. Il regrettait que, mĂŞme Ă  cette occasion de sa mort, il avait encore une fois, Ă©tĂ© le premier, avant lui. Mais qu’il n’était pas très loin derrière. Effectivement, une gĂ©nĂ©ration de psychiatres, engagĂ©s dans l’idĂ©e du secteur, nourris de psychanalyse et de clinique au plus près des patients et des soignants avec lesquels ils font Ă©quipes, est en train de passer le relai Ă  une autre gĂ©nĂ©ration de mĂ©decins. C’est sans doute ce que j’ai trouvĂ© de plus prĂ©cieux dans ces journĂ©es, ce temps partagĂ© collectivement, entre nos deux gĂ©nĂ©rations. La nĂ´tre, et celle « qui vient… »

Tenir parole, limiter les abus 

Mathieu Bellahsen et Patrick Chemla, deux gĂ©nĂ©rations justement, ouvrent la dernière table ronde. Le premier, dans son intervention « Tenir parole, limiter les abus » nous fait le rĂ©cit de ses dĂ©boires au sein d’une institution prise par des angoisses mortifères en temps de covid, et prenant des mesures abusives vis-Ă -vis des patients hospitalisĂ©s. Il est discret quant Ă  l’attitude d’une partie de son Ă©quipe ayant Ă©tĂ© très offensive, dans cet Ă©pisode. Sa conclusion ouvre sur un ensemble d’informations car, dit-il, il y a des ilots de rĂ©sistances, dans des lieux improbables, hors des sentiers usĂ©s, hors des hĂ´pitaux publics. Il se passe des choses lĂ -bas aujourd’hui qui interrogent la pratique du soin psychique, et la notion de collectif. Autrement. Ailleurs.

Pour Patrick Chemla, reconstruire un horizon d’attente, c’est d’abord faire l’analyse de l’institutionnel, aujourd’hui. Il y a une primautĂ© du contre-transfert institutionnel, il faut faire avec. MĂŞme si le constat est triste. Dans son dĂ©roulĂ©, Ă  un moment, il cite Durruti, anarchiste espagnol mort au front, en 1939, pendant la guerre d’Espagne. J’ai notĂ© quelques bribes de la citation, que je n’ai pas retrouvĂ©e entièrement : «  â€¦le collectif …. oĂą est bannit le « moi », l’effacement du « moi », mais dĂ©veloppement de l’individualitĂ© au sein du collectif, et dĂ©chĂ©ance du chef… » La psychothĂ©rapie institutionnelle n’est qu’un nom, un mot qui dĂ©signe un processus, et non un objet observable. D’ailleurs, pendant 10 ans, Tosquelles parlait de social thĂ©rapie. Tiens, une autre phrase saisie au vol et notĂ©e sur mon carnet : « Oury disait « l’hĂ©tĂ©rogène, c’est de l’hĂ©tĂ©roclite travaillĂ©.  »

Toutes sortes d’informations sur ce qui se passe Ă  Valvert, hĂ´pital marseillais, sur le front des psychologues, sur l’exposition Tosquelles organisĂ©e entre l’Espagne et la France, organisĂ©e par une universitaire franco-espagnole, Maso et qu’on peut voir Ă  Madrid en ce moment, des rĂ©fĂ©rences d’ouvrages Ă  consulter, comme l’histoire populaire de la psychanalyse, et mille autres perles savoureuses se sont Ă©grainĂ©es le long de ces deux jours. Impossible de rendre compte dans cet Ă©crit forcĂ©ment sĂ©lectif, subjectif car personnel. 

Que la rĂ©alitĂ© soit fragmentĂ©e Ă  l’infini, et nous Ă©chappe, c’est tant mieux. C’est ce qui donne valeur Ă  la prĂ©sence, au collectif, et Ă  la parole vive. 

Après ces deux jours Ă  ces journĂ©es de l’AMPI, je repars le cĹ“ur lĂ©ger quoiqu’un peu agitĂ© d’avoir pris la parole en public. Et je sens par cet acte comment le dĂ©sir est amplifiĂ© de maintenir vivante la parole, la nĂ´tre, celle des soignants pour rendre compte de notre rĂ©alitĂ©. Nous ne sommes pas, contrairement au fantasme qui a Ă©mergĂ© dans la journĂ©e, je n’ai jamais senti faire partie d’une armĂ©e dont nous serions des soldats envoyĂ©s en premières lignes au massacre sous les ordres de gĂ©nĂ©raux lointains et supĂ©rieurs. Et de quelle bataille s’agit-il ? 

La psychiatrie que j’ai connue était communautaire, attentive, circulaire, ouverte, urbaine, intelligente, déductive. Elle cultivait l’écoute, le doute et la question. Evidemment, cela n’empêche pas la lutte des classes de se manifester.

Novembre 2022.
Madeleine ESTHER, art-thérapeute RNCP, secrétaire chez Serpsy
http://www.serpsy1.com/blog/paroles-vives-a-l-ampi.html?fbclid=IwAR2-GLZoA6h-5GqjzjfUxSP1DsbLWApVufkiv5biP8F08de1a4tsi1dar8k